Les "Lettres de Pierre" Extraits tome 6
29 août 1927
Chère Maman,
Je te l’ai déjà dit, Maman chérie, que parfois nous sommes appelés pour une tâche importante à laquelle nos maîtres nous trouvent préparés ; telle est la cause d’une brusque interruption dans mon message. Pour cela tu te rendras compte que notre individualité séparée subsiste après le passage à travers le voile. Si nous devenions une foule indivisible – en quelque sorte un bloc ou même un agglomérat – nous n’aurions plus la liberté d’action que Dieu utilise ici même, comme un général sur la terre choisit, parmi ses officiers et celui-ci parmi ses soldats, l’homme qui répond à l’idée qu’il poursuit. C’est une preuve de plus que vous pouvez comparer le gouvernement du Royaume de Dieu à une armée. L’Ecriture, du reste, vous montre la hiérarchie dans l’organisation idéale de la Patrie éternelle. C’est dire que tel est bien le mode parfait d’une organisation sociale, et que votre fausse conception, soit de l’autorité, soit de l’égalité, est la raison du désordre qui règne parmi vous. J’ai déjà dit que c’était une des causes de faiblesse bien nuisible qui font végéter le Protestantisme dans l’Eglise du Christ. J’ai longuement expliqué cela, je n’y reviens pas.
Le vie des Ressuscités – le Christ l’a dépeinte par ses paraboles et ses leçons aux disciples – la vie des Ressuscités n’est pas un doux « farniente », mais une activité constante. Cette activité ne se produit pas dans l’arbitraire et le décousu d’une liberté mal comprise, tout au contraire ! Chacun de nous a son rôle à remplir, et la contribution de tous est un résultat mais non pas un moyen. Je ne sais si tu comprendras. Il s’agit ici d’une militarisation volontaire, par conséquent libre, qui s’exerce dans la discipline parfaite, l’obéissance amoureuse, la fraternité dont tout égoïsme est exclu… un ensemble de sentiments spirituels que vous pouvez résumer en trois mots : amour pour Dieu. Rien n’est plus loin de la démagogie (si périlleuse pour l’âme) que la Royauté divine ! Tous, nous obéissons, dans la plus complète liberté, parce que nous aimons.
L’Eglise n’a pas su refléter sur la terre l’image ineffable de l’Eglise céleste ; mais proposez aux chrétiens, ces fils de Dieu dans les chaînes, le programme de la liberté du Ciel :
Obéir… amour !
Travailler… amour !
Se renoncer… amour !
Trois fois : aimer !
Trinité unique, qui est le principe et la fin de tout ce que l’homme sait ou ignore :
Christ – Dieu
Saint-Esprit.
Un seul Dieu !
Pierre
1er Septembre 1927
Pauvre chère Maman
Par mon amour, je suis resté si tendrement près de ton âme que j’éprouve bien mieux qu’autrefois sur la terre la réaction profonde de toutes tes émotions… surtout de celles qui me concernent. Arrache donc de ton cœur l’aiguillon si acéré de la souffrance qui gémit : « Plus jamais ! » ces deux mots n’existent pas devant la grâce de Dieu, qui promet l’immortalité à l’amour… et c’est cela, Maman chérie, que je te demande de redire, la voix ferme et pleine de certitude reconnaissante.
La séparation est toujours douloureuse, mais l’assurance du revoir est un si lumineux rayon de soleil, nous vous en garantissons la radiance ! Il ne faut qu’ouvrir vos yeux avec une entière confiance : ce rayon de soleil, c’est notre amour qui ne vous quitte jamais… à moins que vous nous fermiez vous-mêmes le sanctuaire de votre tendresse.
Je t’ai si souvent dit ces choses… mais je ne me lasse jamais de les répéter, ma petite Maman bien-aimée. Ceux qui s’aiment du véritable amour ne sont jamais fatigués de l’affirmer ni de l’entendre… Or, née dans les brumes de la terre, notre tendresse ne s’est-elle pas épanouie superbement dans la lumière du Ciel ?
Si donc ton cœur maternel garde l’écho de la violente émotion que ton souvenir évoque tout particulièrement tandis que je te parle, songe qu’elle a fait naître sur la plante de notre amour, une fleur immortelle qui parfumera nos âmes fidèles dans l’éternité du Ciel.
Oui, Maman, je t’aime ! je vous aime ! la mort n’a rien changé, si ce n’est de rendre plus étroite notre intimité spirituelle.
Ton Pierrot... comme autrefois
9 Septembre 1927
Non Maman ! Ne t’en fais pas de chagrin, mais je ne peux pas – je dirai mieux : je ne peux plus – donner des conseils pratiques concernant la vie temporelle. Notre état d’esprit est désormais si différent qu’il faudrait une étude (impossible je t’assure) pour diriger nos mieux aimés eux-mêmes.
Ce que je t’explique ici, vous pouvez en faire l’expérience personnelle en observant la vie de ceux qui vous entourent, d’autant mieux que si nous connaissons, plus ou moins clairement selon la volonté de Dieu, les grands évènements importants pour vos âmes vers lesquels vous vous dirigez, assez consciemment parfois, il ne nous est permis de vous les prédire que dans des occasions exceptionnelles, et pour un but exceptionnel aussi. Méfiez-vous, je te l’ai dit déjà, des discours de certains esprits, pas toujours mauvais, mais en tout cas imprudents et légers…je pourrais ajouter, assez orgueilleux pour ne point tenir compte de la discipline céleste.
Mais, chère Maman, n’ai-je pas de bien plus belles choses à te dire, et sur des questions absolument vitales pour vos pauvres esprits dépossédés. Quand on te demande ainsi de m’interroger, affirme ta décision de ne pas évoquer, ni suggérer… ma mission n’est pas celle-là, Maman mignonne, ma mission c’est celle de la sphère christique où je m’attarde par amour pour les hommes de la terre : annoncer l’Evangile…
Pierre, apôtre
1er octobre 1927
Ma chérie Maman,
Ce que Dieu nous charge de vous dire est solennel : La position d’un chrétien c’est l’image de la Croix.
Debout… tous !
Les bras ouverts… ouverts
Pour s’offrir à l’amour
Le front haut,
Les yeux clairs…
Vivre pour mourir,
Mourir pour vivre !
Telle est la figure symbolique qu’il faut réaliser... (rendre réelle). Sans souffrance ? Nous ne disons pas cela ! Bien au contraire, dans la souffrance, car l’amour parfait ne se conçoit pas sans des larmes. Jésus fut le Modèle ; Jésus vint pour aimer : « Il fallait qu’il souffrit »
Oui, vivre pour mourir ! mourir à tout ce que vous ne pouvez pas appeler charité – ce qui signifie mourir à soi-même… la plus difficile, la plus farouche des morts, pour l’homme sensuel et superbe. Vivre dans ce but – l’unique raison de l’existence terrestre… et voilà ! Puis enfin mourir, mourir généreusement, dans un arrachement géniteur, qui annonce et prouve la vie.
Quel admirable programme pour l’âme, que l’orgueil de vouloir avait perdue et que l’orgueil d’accepter régénère !
Pierre
6 octobre 1927
Chère maman ,
Les hommes n’ont pas encore compris que tous les évènements dont l’envergure est suffisante pour modifier profondément les sociétés, les croyances et les mœurs – tous les grands bouleversements en un mot – sont utilisés par une Providence toujours en éveil, dans un but parfois occulte, souvent lumineux, toujours instructif. Ce but est un châtiment, non pas dans le sens brutal, étroit, que vous donnez à ce mot, mais dans celui de la volonté éducationnelle, mystérieuse par son inlassable amour, son pardon toujours accordé – oui, un châtiment, que la duplicité humaine attire inévitablement sur sa propre tête, par la logique des choses.
Il y a des époques spécialement agitées, des époques où Dieu, plein de miséricorde et de compassion, laisse le volcan vomir les flammes et la lave accumulée, pour calmer le soulèvement maléfique des poitrines tourmentées. Voyez donc par ceci ce que fut la guerre terrible, mais bénie par tant d’âmes en péril de mort éternelle. A travers l’histoire de l’humanité, vous saurez découvrir les périodes éruptives dont je parle ici. Mais si les malades n’y prennent garde, abusant du remède offert par une Main paternelle, ils s’empoisonnent et empoisonnent tous ceux qui les entourent. Hélas, telle est la triste réalité de l’heure qui sonne pour la terre ! Les sauvés – ceux qui s’étaient rédimés quand « le Roi des épouvantements » les menaçaient, ceux qui semblaient des ressuscités, une fois rassurés et paisibles, oublièrent leurs serments d’amour et, se joignant aux pervers impossibles à convertir, célèbrent l’hymne à la volupté et à la joie de vivre ; les autres laissent dire, laissent faire… la dernière condition des sociétés humaines est « pire que la première » !
Pierre
23 octobre 1927
Maman chérie,
Il est écrit : « Sois fidèle dans les petites choses », or, trop souvent, ceux qui parmi vous se sentent un cœur plein d’enthousiasme pour la cause de Jésus, oublient la modestie de certaines décisions de Dieu. Le service du Royaume, ici même, se partage en petits détails et en vastes ensembles ; mais l’infiniment petit est capable de détruire l’orgueil d’un tyran, et celui qui marchait méchamment et voluptueusement sur le front de son prochain, s’affaisse tout d’un coup, vaincu par l’organisme microscopique que Dieu mit dans sa chair. Ne méprisez donc pas les modestes tâches quotidiennes – prenez-les dans la Main qui dirige avec un si grand amour, que leur petitesse se transforme en puissance. L’acceptation de l’humilité est une leçon difficile… je parle en ce moment de l’humilité des efforts, des buts et des résultats… Se plier à l’obéissance, quand se dresse devant l’ardeur des néophytes et des observants de l’Evangile une apparence de dépouillement, d’obscurité, d’insignifiance même, une apparence… un fantôme, qui éloigne et qui provoque la peur de ne plus être que le « serviteur inutile » de l’Evangile, mais non point le héros, dans les batailles spirituelles où commande le Roi.
Contentez-vous parfois du rôle le plus effacé… les pourvoyeurs de nourriture sont indispensables à l’endurance des soldats, aussi bien pour combattre en esprit que d’autre façon. Tu vois, Maman bien-aimée, ce que je veux dire : aussi longtemps que tu te sentiras certaine de remplir ponctuellement le désir du Maître, tu marcheras près de nous dans l’Invisible ; car ici, dans l’Au-delà du monde, nous n’avons pas, nous non plus, uniquement des missions transcendantales ; et des expériences, si menues, si modestes, Dieu nous en fait faire comme à vous-mêmes, pour bien asseoir les fondements de la nouvelle Jérusalem spirituelle que nous édifions tous ensemble.
Ce n’est certes pas la première fois que je t’entretiens de ces questions terrestres, mais il est indispensable de s’en pénétrer, car c’est la méthode intransigible du Père de toutes… et les célestes et les terrestres.
Ton Pierre
30 Octobre 1927
Maman mienne,
Se pencher sur la joie des autres avec un sourire de bienveillance, n’est-ce point l’oeuvre du Messie tout aussi bien que recueillir entre ses bras « les chargés et les travaillés de la vie » ? L’une des routes est plus sombre que l’autre, et la timidité de l’âme se rassure dans son ombre, propice aux épanchements les plus émouvants… je ne parle pas ici de l’âme qui reçoit, mais de l’âme qui donne ; l’autre vous éblouit et brûle… « elle est pleine de soleil… la sensibilité se rétracte parfois dans pareille flamme – mais il faut apprendre, vois-tu, à y marcher sans crainte, les paumes ouvertes et les lèvres détendues. Crois-tu que nous ne soyons pas aussi près de vous dans un cas que dans l’autre ?
« Pleurer avec ceux qui pleurent, se réjouir avec ceux qui sont dans la joie », c’est là ce que la charité exige de nous tous, aussi bien au Ciel que sur la terre ; or la Charité c’est Christ. Rappelez-vous la compassion de Dieu, qui vint Lui-même au milieu des hommes égarés, pour leur désigner la route de la Bergerie… cette « Maison du Père » où l’accueil est si magnifique, « où les anges au service de Dieu » ouvrent les portes « à ceux qui heurtent ». Y a-t-il un doute sur l’hospitalité promise par le Fils héritier retourné dans le sein de son Père ? Vous n’oseriez point le dire !... « Frappez, on vous ouvrira… » Qu’il en soit ainsi mes frères !
J’ai décrit l’amour du monde, mais c’est une antiphrase puisque l’amour qui fait du mal à son prochain n’est point l’amour. Surveillez donc la manière dont vous aimez ! Quoi qu’il vous en coûte peut-être, aimer « c’est pleurer avec ceux qui pleurent et se réjouir avec ceux qui sont dans la joie. »
Courage, petite Maman.
Ton Pierre
22 novembre 1927
Sais-tu, Maman bien aimée, que s’il m’était possible de vous introduire dans les sphères spirituelles, au milieu de nous tu verrais notre Sauveur, et Pierre, et Jean, et Jacques… et tous ceux qui s’efforcent vers la ressemblance avec Dieu. Le plus souvent, vous pensez à nous comme on pense à un ami exilé, isolé… mais rien n’est plus faux ; nous vivons tous dans la belle intimité des rachetés du Christ, et les distances qui nous séparent les uns des autres sont effacées, par la grâce de Dieu qui récompense ainsi nos efforts pour nous rapprocher de la Perfection. L’idéal de vie… le but, vers lequel nous tendons toute notre volonté spirituelle, est défini (dans le Ciel comme sur la terre) par la stimulante maxime du Messie, qui résume toute sa doctrine : « Soyez parfaits comme votre Père des Cieux est parfait ».
La perfection visée, c’est la perfection dans la manière d’aimer, car « Dieu est Amour ».
La Terre, même pour le positiviste scientifique, est destinée à finir ; cette matière se dissoudra et retournera au Grand Tout, qui, seul est immortel…….
30 Novembre 1927
Chère Maman,
Tu vois combien simple est le désir de Dieu en ce qui concerne l’action humaine : aimer. Si cela paraît pénible et difficile à ceux dont il voulait faire des frères, c’est que, dans leur méthode d’existence, ils ont confondu la simplicité et la simplification… deux synonymes il est vrai, mais entre lesquels je voudrais te voir sentir une différence.
La simplification est souvent une sorte de simplisme ; elle aboutit, par vice de raisonnement, à la confusion générale et meurtrière d’une conclusion entrée, tandis que la simplicité s’accomplit dans l’ordre, dans le calme paisible qui conduit l’âme à l’obéissance humble et féconde. Tu me comprendras mieux si tu raisonnes ces deux adjectifs : être simple… être simpliste. La simplicité est une vertu ; la simplification se rapproche trop souvent de la paresse. Rendre simple sa vie est un devoir qui s’édifie sur le dépouillement, sur l’abnégation… en un mot, la charité ; mais simplifier sa vie est fréquemment une raison d’égoïsme ou de nonchalance devant les droits du prochain.
Pierre
27 Décembre 1927
Chère Maman,
Le Ciel, où le Christ ressuscité « a préparé nos places », est le Royaume de l’Amour. L’Amour y règne partout, puisque Dieu le donne aux coupables eux-mêmes… et parmi ceux-là il y a des anges. Je sais que certains chrétiens, surpris de nous entendre parler des sphères célestes, protestent contre un terme qu’ils ne trouvent pas dans l’Evangile. En effet, toutefois, ils critiquent à tort notre explication qui, sous le nom de sphères, vous montre ce que les évangélistes, suivant en cela l’exemple de leur Maître, appellent « les demeures du Ciel ». Or, Jude, « serviteur de Jésus-Christ », vous parle des anges qui ont « abandonné leur demeure ». Il y aurait d’autres textes à citer, mais celui-là suffit pour calmer les consciences pieuses, troublées par notre langage. Ces demeures, dont Jésus vous a dit : « Il y en a plusieurs dans la Maison du Père », sont justement les sphères dont nous cherchons à vous faire comprendre la raison d’être. Ceux qui s’y trouvent réunis parlent la même langue spirituelle, sont conviés à un devoir analogue, et forment ainsi une société – je pourrais dire une congrégation, car nous observons des règles, nous pratiquons un culte « en esprit et en vérité », nous nous associons pour notre mission spirituelle, spécialisée selon l’ordre de Dieu.
Pierre
4 Février 1928
Maman chérie,
Il faut être joyeux ! La joie est un don de Dieu, certes, mais si vous la recouvrez d’un voile de soucis, petits et grands, ce don ne sert à rien. N’oubliez pas la semence radieuse, jetée sur les âmes par l’ange qui proclamait la naissance du Messie tant désiré : « Je vous annonce une grande joie : un Sauveur vous est né ». Telle fut l’aube du jour qui se levait à l’horizon terrestre ! Puis l’expérience des premiers chrétiens vint confirmer cette béatitude, et Paul s’écriait « Soyez toujours joyeux ! » à une époque où la persécution guettait sournoisement tous les disciples de Christ.
La joie est une des grâces célestes que nous pouvons partager par la communion interspirituelle. Concevoir l’amour malheureux au Ciel serait une erreur complète ; l’amour et la joie forment un faisceau de bonheur, dont vous pouvez dire que c’est là ce qui constitue « ce Paradis céleste », vers lequel votre âme est subconsciemment attirée, si je puis dire, et qui reste l’idéal spirituel dont les sincères ne sauraient se passer.
Pierre
22 Août 1928
Chère Maman,
Vois-tu, ma pauvre Maman bien-aimée, quand la séparation se produit entre vous et ceux qui vous sont chers – je parle de la mort, mais j’hésite à prononcer ce nom défiguré par les hommes – votre douleur devient tragique, parce que, malgré l’Evangile, vous ne comprenez pas la ressemblance, l’unification des deux existences qui sont une même vie. Rien n’est changé au premier abord, si ce n’est l’infériorité de la chair ; mais notre ego véritable reste soi-même jusque dans les plus petits détails. Notre travail spirituel, qui se poursuit minutieusement et douloureusement de ce côté-ci du voile, est rendu si grave par notre effroi, quand nous « connaissons comme nous étions connus ». Tu peux avoir un exemple atténué de ce que j’explique ici : la sensation éprouvée par un vieillard de n’avoir pas changé psychiquement depuis sa jeunesse… voire même son enfance. Au travers des modifications apportées par les années aux manifestations mieux éduquées…(ou perverties, hélas !) qui constituent la personnalité morale, vous retrouvez les sensations, les dispositions, les impulsions que vous avez ressenties depuis que vous savez raisonner.
Il faut bien réaliser cette continuité de la personnalité, que le terme de « nouvelle naissance » a fait perdre de vue. Il n’y a pas là seulement une occasion d’effroi et de regret, mais aussi une grande douceur, paisible et rassurante : la Mort ne reprend rien à l’Amour ; quand vous cesserez d’oublier que l’Amour est toute l’œuvre de Dieu, vous comprendrez la grâce propulsive qui nous fut faite : rester nous-mêmes, malgré les avatars de la terre, et les révélations au Ciel ; rester nous-mêmes, tels que nous sommes, après avoir cultivé notre âme, don de Dieu, pendant la vie charnelle, comme aussitôt après le changement produit par la mort.
Pierre
24 Septembre 1928
Chère Maman,
La religion dite chrétienne que vous vous vantez de pratiquer, a quitté son cours normal, et son titre de gloire est une catachrèse, un mensonge. Ne sentez-vous pas votre responsabilité devant Dieu et devant les hommes ? Votre maître a laissé une consigne formelle : baptiser les nations au nom de la Trinité indivisible ; vous n’oubliez pas la formule ni le geste, mais « le baptême qui sauve est l’engagement d’une bonne conscience devant Dieu » a dit saint Pierre. Paul insiste : « Vous serez sauvés par le baptême de la régénération ». Quand vous avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ ; or, Christ, c’est l’Amour vivificateur de Dieu… et qui, en réalité, constitue Dieu, puisque Dieu est Amour.
Pierre
20 Octobre 1928
Chère Maman,
L’Evangile est la Sagesse de Dieu – la philosophie de Dieu serait une traduction plus exacte des textes qui furent inspirés par votre éducation spirituelle – or, cette philosophie, qui n’est pas celle du monde, est d’une parfaite limpidité. En Christ, Dieu dit : « Mon joug est facile et mon fardeau léger ». Voilà bien ce qui domine toute la théodicée céleste ; les hommes compliquent la question religieuse, ils imposent des devoirs, des scrupules, ils décrètent des pénitences, des jeûnes, qui n’ont point été réclamés par le Fils de Dieu, dans la chair judaïque qu’Il avait choisie pour se révéler à l’humanité. C’est un sujet que j’ai plusieurs fois abordé, mais qui me semble d’une poignante actualité. Nous voyons la pensée religieuse, les efforts des croyants, et même la catéchèse des prêtres du Christianisme, s’égarer dans des chemins qui ne sont pas l’Unique ; Christ. « Je suis la Voie, nul ne vient au Père que par moi » ; nous voyons l’Eglise baisser la tête qu’elle devait appuyer sur l’Epaule de Jésus, et faire des mouvements d’impatience hautaines quand les pêcheurs raillent : « Où est ton Dieu ? ». Ce mépris, les inconséquences des chrétiens l’ont fait naître : les rites, les « longues franges » aux habits de ceux qui se donnent comme modèles, les sévérités inutiles : « Ne touche pas ! ne goûte pas ! » réduisent à des formules l’ineffable enseignement du Christ : « Tu aimeras !... Notre Père pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Y a-t-il plus dans les exigences de la foi selon Dieu Lui-même ? Les commandements d’amour résument toutes choses en une seule : la parfaite ressemblance avec Dieu.
Vous confondez dangereusement dans les observances religieuses, les ordonnances humaines (je puis dire ecclésiastiques) avec les commandements de Dieu. L’eccéité intégralement divine n’est plus contenue dans vos pratiques absorbantes, qui renferment un élément humain dominateur. L’éclectisme sacerdotal a tout envahi, au détriment de la pure doctrine messianique, dont l’effloraison, au début de l’ère chrétienne, suscitait des miracles que le Christ avait annoncés. Mais que demandait-il ce Fils céleste, qui cherchait à dévoiler aux sociétés humaines en décomposition, la grâce de l’Amour réciproque entre son Père et ses frères ? Il disait : « Renoncez à vous-mêmes ; aimez-vous les uns les autres ; aimes vos ennemis ; pardonnez-leur ; adorez Dieu en esprit et en vérité. » Il disait encore :« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Mais surtout, Il priait… Il se retirait dans les solitudes, la nuit, pour prier son Père : Il marchait vers Jérusalem qui « tue les prophètes » ; Il lavait les pieds des pécheurs, et partageait entre eux son Sang et sa Chair martyrisée.
Pierre
23 Décembre 1928
Chère, chère Maman,
…..Je parle ici du grand mouvement rationaliste, qui veut « excuser » l’Evangile des apôtres, en le modernisant selon la méthode intellectuelle et scientifique d’une génération passagère que la pensée à venir condamnera à coup sûr parce que les hommes « les plus sages et les plus intelligents » parmi les humains cherchent dans leur propre sagesse et leur propre intelligence le raisonnement de la foi qui ne s’y trouve jamais. La foi ne se prouve que par la vie des âmes, et non point par les mathématiques de l’intellect. La foi est l’attente et la certitude. : « l’assurance des choses espérées, la démonstration de celles qu’on ne voit point ». – par conséquent d’une abstraction qui se conclut dans ce mot (incompréhensible pour tout ce qui est matériel) : « la foi ». La matérialisation des questions spirituelles condamne à mort tout l’Evangile qui est esprit. La conséquence ultime de l’enseignement du Christ, c’est la nécessité de la foi pour se l’assimiler utilement. Aussi longtemps qu’il y aura des chrétiens pour rationaliser les choses spirituelles, il restera des lacunes graves dans la pratique de l’Evangile… une dissidence mortelle pour les résultats que le Christ Lui-même escomptait, quand il envoya ses apôtres annoncer la Bonne Nouvelle par le baptême au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.
Pierre
19 Septembre 1929
Chère Maman,
J’ai déjà attiré ton attention sur la faiblesse des prières de l’Eglise (je n’entends pas le corps constitutionnel du Chef, Christ, mais l’ensemble des membres de ce corps : les fidèles qui le forment et le font agir). Toute âme prise individuellement, a sa grave responsabilité devant les autres âmes ; or, c’est à chacune de ces individualités psychiques que je reproche la faiblesse des prières de l’Eglise. Vous priez, pour la plupart, sans conviction, « vous demandez mal, et vous n’obtenez rien de Dieu ». La prière est, trop souvent, une formule ; or, une formule ne saurait être qu’un moyen de concentration et de recueillement : elle est neutre, et l’esprit qui la prononce reste passif, mais non pas dans le sens de l’oblitération volontaire du Moi devant Dieu ; de sorte que cette passivité brise l’élan de la foi, indispensable au contact avec le Divin. L’objet de la prière doit être l’union intime et sainte entre le suppliant (ou le louangeur) et le Tout-Puissant. En dehors de cette étreinte spirituelle, la prière n’est qu’un verbiage, sans action et sans effet… pourquoi prier de la sorte ? Une telle prière est un vain bruit, inutile devant la raison de croire, pareil au tic-tac d’une pendule, qui est un constat d’activité sans doute, mais qui n’indique pas l’heure, but unique de l’appareil qui le produit. Votre prière est, trop souvent, ce tic-tac sans conséquence opportune… prier ainsi, à quoi bon ?
Ma chère aimée, je te le demande tendrement, fuis avec persévérance ces « vaines redites », dont l’Eglise est coutumière… ce qui explique son manque de vitalité, sa langueur : le tic-tac monotone, dont je parle plus haut, l’envahit. Je dois dire que c’est là le danger des liturgies traditionnelles mal comprises ; elles se substituent à l’acte d’obéissance et d’abandon personnel, pour ne plus refléter que le besoin de prier, mais non pas la défaillance voulue de la volonté et de l’instinct individualiste, pour s’abandonner, dans un élan, à l’appel de Dieu…..
Pierre
24 Décembre 1929
Maman bien aimée,
Les hommes sont d’une inconséquence invraisemblable ! Tout ce qui les entoure… eux-mêmes, et ce qu’ils savent, et ce qu’ils supposent, et ce qu’ils devinent, tout est mystère ! Pourtant, ils invoquent le jugement de la raison – leur raison – pour protester devant ce qui leur semble invérifiable, utopique, rêveries, fantasmes naïfs ou calculés. Cependant, si, cessant de critiquer, ils s’efforçaient de résoudre les problèmes qui se posent autour d’eux et en eux-mêmes, saisis de surprise et presque de crainte, ils reconnaîtraient que leur science, leur connaissance… tout ce qu’ils intitulent « des lumières » n’éclaire qu’un abîme d’ignorance, si profond, si obscur, qu’ils étendraient aussitôt vers sa nuit des mains effrayées, pour chercher à saisir un appui qui les sauverait du vertige. Ah ! cet appui existe… cet appui, c’est Jésus-Christ, « l’enfant de Noël », Celui que les anges ont annoncé, Celui que les anges ont chanté, Celui que les anges ont fortifié contre sa chair, Celui dont les anges adorent sa divinité. La Création est un acte inconcevable pour l’esprit rabaissé de l’homme terrestre…..
Pierre
19 Mars 1930
Ma chérie aimée ,
N’est-il pas magnifique de sentir de quoi l’homme est capable… d’éprouver l’amour ! A mesure que les générations succèdent aux générations, il y a la preuve, de plus en plus visible et sensible, que l’amour seul peut transformer la vie terrestre, en l’assimilant à la vie du Ciel ; mais, hélas ! cette preuve est donnée par son contraire ! et c’est la haine, la cruauté, le personnalisme poussé jusqu’au crime qui, par contraste, font resplendir l’ineffable beauté de l’amour. Les sophistes peuvent discuter Dieu… la soif insatiable d’amour qui qualifie l’âme humaine, et qui se dévoile par les désirs et les agissements naturels de l’Univers, démontre Dieu. Prouver juste la définition de l’aboutissement au néant est impossible, parce que, plus haut que les clameurs destructives de ces philosophes de la mort, le triomphe de la vie par l’amour éclate comme une fanfare de victoire. La théorie s’effondre par sa base, puisque plus rien n’existe et n’a jamais existé ; ce qui n’est pas né ne saurait mourir, mais cesse d’être (ou plutôt rien n’est plus). La philosophie du néant elle-même ne se comprend plus, ne se discute plus, et s’engloutit comme une illusion qui n’aurait même point été pressentie, dans l’abîme de ce néant… abstraction que l’esprit n’eût pas conçue, puisque le néant ne peut se pressentir sans son contraire : la vie de l’amour qui, par induction, fait apparaître et « constater » Dieu, si l’on peut dire. Ainsi donc, la preuve absolue de Dieu c’est l’Amour…l’Amour qui balbutie son premier vagissement dans la nature simple et impulsive : l’instinct de la génération des bêtes et des plantes, et jusqu’à l’adoration qui brise le martyr triomphant, au pied de la Croix de Jésus-Christ (l’Amour-Perfection). Si le Créateur n’avait pas accordé l’Amour à la créature, elle aurait vécu dans l’obscurité dramatique de ce néant, que l’imagination peut enfanter mais que l’intelligence tue à sa naissance, comme un monstre dangereux et menteur.
Gloire à Dieu qui est Amour, et qui donne à ses fils sa ressemblance : Aimer !
Ton Pierre
11 Août 1930
Maman chérie,
Il y a, dans la vie spirituelle de l’homme, un point que je n’ai pas encore médité avec toi dans nos entretiens : c’est celui de la conscience, et j’entends par ce nom la voix intérieure que tout homme sérieux connaît, qu’il soit croyant ou athée, chrétien ou libre-penseur…(je fais une différence entre ces deux états de l’âme, parce que le libre-penseur peut se réclamer de la doctrine chrétienne, mais en fait, il n’accepte point la soumission parfaite à la méthode du Christ). Qu’est-ce que la conscience, qui vous incite au bien ; qui vous montre en tout mal un cas dangereux et méprisable qu’il faut repousser ; qui vous approuve, ou vous comble de tels reproches que parfois le criminel cherche dans la mort la délivrance du jugement sévère qui le poursuit nuit et jour. Qu’est-ce que la conscience ?... A cette question, répondez sans hésiter : « La voix du Saint-Esprit », son moyen de se manifester par une action qui soit accessible à l’être humain, si souvent trop indifférent aux lois de la morale, pour ne pas invoquer et blâmer son insouciance de la loi divine. La conscience, en réalité, ne fait pas partie de vous, ni de votre « combinaison psychique », si je peux dire ; elle vient du dehors, et c’est le Saint-Esprit inspirateur, directeur, qui s’adresse ainsi à vos sens spirituels… c’est Dieu. En ceci, comme en toutes choses, Dieu ne s’impose pas ; il est toujours loisible à l’homme d’étouffer le murmure qui, cependant, est une preuve magnifique de l’intérêt du Père pour les âmes vacillantes de ses faibles enfants. Le Maître a le pouvoir de se faire obéir en disant : « Je veux », mais le Père demande tendrement : « Exauce-moi ! » car son amour est une prière éternelle qui implore l’amour. Voilà pourquoi les appels de la conscience peuvent demeurer sans résultats, puis, peu à peu, se perdre, pour l’esprit uniquement préoccupé de soi-même, voué à l’égoïsme jusqu’à la cruauté, jusqu’à l’indifférence meurtrière… je veux dire meurtrière de ce « soi-même », dont j’ai parlé plus haut.
Si la conscience faisait partie de l’organisme humain, son inaction voulue l’atrophierait à jamais, sans possibilité de renaissance ; détruite en quelque sorte, la volonté elle-même de l’être humain ne parviendrait plus à la reconstituer. Mais la conscience ne fait point partie de l’organisme de l’homme ; la conscience, c’est la Parole secourable de Dieu, c’est son Christ éternel, son Esprit d’Amour, toujours prêt à répondre quand l’âme déchue est au bord de l’abîme… encore hésitante, bien que livrée déjà, sans aide, aux promesses de Satan, à ses conseils perfides, à son attirance mortelle.
Avant même que cette âme, fille de Dieu, ait imploré l’unique secours qui puisse la sauver, le Christ, « qui a porté les péchés du monde » sur l’autel de la Croix, s’offre de nouveau, en étreignant dans ses bras, qu’il a comparés à ceux d’un berger, la brebis imprudente, la brebis coupable et méchante ; il lui parle amoureusement, sévèrement : cette tentative par Dieu et l’Esprit-Saint, c’est la voix de la conscience. Chaque fois où vous entendez raisonner en vous les regrets, le remords des fautes passées, ou le solennel avertissement devant un acte criminel, sachez-le donc, ce n’est pas seulement un écho, un souvenir, un recul de la pureté de votre âme effrayée qui vous retient… mais c’est Dieu, Dieu qui vous aime !
J’ai vu parfois en toi, Maman mienne (et c’est la raison qui m’a fait choisir ce sujet pour mon message), une sorte de trouble quand tu reçois l’approbation de ta conscience, parce qu’il te semble manquer d’humilité vis-à-vis de toi-même… rassure-toi, et rassure les autres ; c’est Dieu… (Dieu qui, en Christ, « a été tenté en toutes choses »), Dieu qui condamne et qui absout, c’est Dieu qui te dit : « C’est bien ! », ce n’est pas toi.
Prêtez donc une oreille obéissante et respectueuse aux murmures de votre conscience ; elle ne saurait pas vous tromper, Christ vous l’a promis : « Je reste avec vous jusqu’à la fin du monde ».
Ton Pierre
20 Octobre 1930
Dearest,
Tu m’as compris, et tu t’approches sans hésiter du sanctuaire mystique où, selon la parole du Fils divin, se rencontre Dieu, le Père ; ce « lieu secret » n’est autre que le fond le plus intime de l’âme consciente. Tu y trouves le Père, le Fils, et le Saint-Esprit… Trinité adorable, et tu y pressens les myriades des anges et des rachetés de Christ qui environnent le Trône, image de la Toute-Puissance et de l’autorité qu’il faut respecter plus que tout autre chose ; tu éprouves la prénotion instructive et confirmée par des expériences renouvelées, que l’Amour est ce Roi et que, pour lui obéir et lui rendre hommage, il faut aimer.
Quand cette vue radicale sur l’inexploré, établit nettement le principe de la communion qui rattache au Ciel la Terre, le devoir de la prière d’intercession (aussi pour la terre depuis le Ciel, que pour le Ciel depuis la terre) devient naturel, impossible à négliger. Comment expliquer les retenues et les objections du clergé protestant et des fidèles de ses églises, devant un devoir aussi simple, aussi certain que toutes les autres obligations de la charité fraternelle ? Y renoncer, c’est faire tort à des âmes, qui se trouvent ainsi isolées sur les sentiers qui conduisent à la demeure de Dieu, but de nos travaux et de nos efforts spirituels, aussi dans le Ciel que sur la Terre.. La vie d’un homme n’est pas un conte interrompu par la mort, mais un magnifique ouvrage en deux volumes, qui recevra de la main du Christ-Jésus le prix de la couronne, au « dernier jour » du monde matériel. Ecrivez bien les pages que le Maître vous a confiées toutes blanches, et dont l’Instruction annoncé surveille l’évolution. Il y aura des ratures sans doute, des pages honteuses… ce sont celles-là que Jésus vint essuyer avec son sang « qui blanchit mieux que le foulon » ; mais il faut surtout que la fin du Livre soit sans erreurs et sans taches – Dieu ne nous demande pas autre chose – or, cette fin triomphante n’est acquise qu’après les victoires célestes, car elles complètent l’œuvre. Vous êtes donc appelés, mes bien-aimés, à nous aider dans notre vie spirituelle comme dans l’existence sur la terre. Nous restons « uniques » au travers des transformations successives de nous-mêmes : « la spiritualité pré-terrestre ; l’épreuve de la chair ; puis la spiritualité post-terrestre… » ô triphtongue bénie, que Dieu nous accorde et qui se résume, comme Lui-même, en une unité tripartible éternellement unique cependant. Vous voyez trop court, quand vous considérez l’inutilité de prier pour ceux que vous appelez « des morts » ; le premier volume de l’histoire d’une âme n’est pas sa conclusion, et le second volume fait partie de la croissance, d’un même épanouissement. Si vous pleurez parce que la mort vous semble briser les responsabilités si douces de la tendresse entre les âmes, essuyez vos yeux ! La sécession spirituelle n’est qu’un mot, et c’est vous seuls qui la produisez. Lorsque vous renoncez à considérer les invisibles comme des étrangers, la frontière s’efface : les mères retrouvent leurs fils, les fils leurs mères… toutes les mains sont jointes pour une prière éternelle, prière d’amour sans brisure ; prière d’intercession ; prière qui est celle des serviteurs de Dieu, dans la chair ou délivrés de la chair ; prière de Christ, Homme-Dieu : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel ».
Pierre
4 Déembre 1930
Chère, chère maman,
Ecoute bien et redis nos paroles aux insouciants, aux paresseux… des aveugles et des sourds, certes ! ce qui est leur excuse ; mais, ont-ils le droit de se proclamer chrétiens, sans se souvenir de l’attitude de Christ sur la terre ? « Que celui qui n’a point d’épée, vende son manteau pour en acheter une », a-t-il dit aux apôtres, quand il sentit l’heure du supplice venue vers Lui. Et cependant, n’avait-il pas prévenu ses frères : « Ceux qui prendront l’épée, périront par l’épée ». Quel mystère enveloppe ces deux paroles du Maître qui semblent si contradictoires ! Mais une grande lumière en jaillit toutefois, si vous vous rappelez que le Fils de Dieu fut un lutteur débonnaire, et qu’il disait : « Je suis doux et humble de cœur » ; mais aussi : « Je suis venu allumer un feu sur la terre » ; et : « Ne pensez pas que je suis venu apporter la paix sur la terre, je suis venu apporter non la paix, mais l’épée ».
Qu’est-ce à dire, si ce n’est que la vie des chrétiens est une lutte qui peut devenir sanglante. Vous avez oublié ce côté tragique de la vie chrétienne, et depuis que les heures terribles ont passé, ô soldats du Christ, jetant vos armes de combat, vous avez laissé l’Ennemi envahir les plaines, ensemencées par le Fils de Dieu et arrosées de sang… quelle défaite pour les rachetés de l’Amour !
Contemplez, autour de vous, les résultats de la lâcheté des chrétiens… les crimes se multiplient, l’impénitence hautaine confond les foules indifférentes ou effrayées, l’Evangile est mis en doute, raillé, banni des cœurs et des âmes, parce que l’Eglise est sans influence, moribonde. Ah ! guerriers de l’Amour-Roi, il faut vendre vos biens terrestres pour saisir l’épée du défenseur entre vos mains jointes, l’épée de l’Esprit-Saint, celle que le Fils, venu du Ciel, apporta sur la terre. Il l’a confiée Lui-même à ceux qui se disaient ses amis, par ces mots : « Cela suffit ! ».Avez-vous donc oublié ces choses ?
Pierre
29 Décembre 1930
Chère Maman,
L’hypocrisie, chère Maman, fut le vice que le Christ a le plus fréquemment jeté au visage des Pharisiens qui, sous l’apparence de la rigidité des principes, vivaient mollement et coupablement. Rappelle-toi ce serviteur inutile « qui a reçu sa part avec les hypocrites », « là où il y a des pleurs et des grincements de dents » ; rappelle-toi les nombreuses apostrophes de l’Homme-Jésus, aux trompeurs contre Dieu qui l’entouraient. Aucun péché n’est plus avilissant que le péché d’hypocrisie, n’est-il pas vrai ? Or, cette souillure, voilà ce que le Chef reproche à l’Eglise de l’Eternel : née au pied du Thabor, elle avait « pris prétexte de la Loi » pour aggraver le péché, et conduire la pécheur à la condamnation, Jésus-Christ, Lui, vint « accomplir la Loi, et non pas l’abolir ». Il expliqua cette Loi en disant : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée ; c’est là le premier et le grand commandement ; et voici le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rapporte toute la Loi et les prophètes ».
Or, ce Jésus est mort sur la Croix ; Il est ressuscité le troisième jour, quarante jours plus tard, Il est monté au Ciel… cependant, dans ses actes, dans ses paroles, dans son « histoire », si je puis dire, trouvez-vous l’absolution du péché d’hypocrisie qu’il reproche si sévèrement aux grands de son peuple sur la terre ? Une seule parole atténue-t-elle le jugement sans merci et son avertissement : « La part des hypocrites est là où il y a des pleurs et des grincements de dents ? »
Eh bien, ce Christ si miséricordieux et si sévère, c’est Lui-même qui nous envoie à l’Eglise, pour lui rappeler comment, aux jours de sa chair, il châtiait les prêtres indignes de la première Alliance : Hypocrites !
Crois-tu, Maman chérie, que l’Eglise s’est purifiée depuis le baptême de Jean, et que vous ne méritez plus les paroles indignées de votre Sauveur ? Hélas ! Jamais les sociétés terrestres ne furent plus débauchées, plus vénales, plus blasphématrices !
« Race de vipères ! Hypocrites ! Sépulcres blanchis, comment échapperez-vous au châtiment de la géhenne ? » Tel fut l’avertissement terrifiant de Celui que les générations appellent : le Prince de la Paix. Dans ce contraste saisissant, ne voyez-vous pas la Justice de Dieu outragée et vengeresse ?
Ton Pierre
9 Avril 1931
Chère Maman,
L’Eglise a transposé son cantique de louanges ; elle le « chante faux », si je puis dire. Sous le prétexte de pratiquer l’affirmation indispensable dont je t’ai parlé, elle exerce sur les consciences un autoritarisme si rigoureux, qu’elle les paralyse. Pliée à une discipline stricte qui ne permet pas l’individualité des esprits, la conscience religieuse des masses se perd ; les chrétiens ressemblent à un troupeau docile… trop docile, qui paît les prairies de la vie , se désaltère aux sources aménagées, mais dans ce facile « laisser-faire » la vie s’épuise, l’enthousiasme indispensable se méfie, et ce bloc, qui pourrait être une force invincible sans doute, devient une lourde machine entre les mains d’une théocratie opprimante : la Tradition.
Ah ! Frères, prenez garde ! La Tradition des Juifs les a conduit au régicide… et de quel Roi ! Le Fils de Dieu ! Mais ce Martyr est aussi votre Roi, et si la Tradition mosaïste l’a haï jusqu’à le faire mourir, c’est qu’Il était venu établir dans le monde la Loi nouvelle de la liberté individuelle dans l’Amour. C’est là votre règle de conduite, le sens de votre vocation, le but de votre éducation terrestre qui fait appel à chacune des âmes, filles de Dieu, et leur demande personnellement compte du talent qui leur est confié.
Ton Pierre
10 Avril 1931
Chère Maman,
Par tout ce qui précède, j’ai cherché à faire comprendre la cause essentielle de votre faiblesse religieuse : vous êtes des « pratiquants » et non pas « croyants » ; quoi qu’il en semble, il est possible de pratiquer sans avoir la foi… et voilà ce qui tue l’Eglise. Ce que je dis vous semble paradoxal… telle est la misère physiologique dont agonise le Corps du Christ.
La foi est une vision de Dieu, un élan d’amour, un enthousiasme, et sur cette racine saine et proligère, la louange, la prière et les actes de charité s’élèvent. Vous avez oublié cette genèse indispensable à la religion et, commençant par l’arbre, vous cherchez à faire vivre une cime sans respecter la racine ; je veux dire que la beauté des fleurs et du feuillage vous attire, mais que vous laissez dépérir ce qui en assure la splendeur. Me comprends-tu ?
La prière est une formule et, pour trop de chrétiens, la Sainte Cène une habitude qu’il est décent de respecter. Ai-je tort d’insister parce que nous voyons des âmes en oraison, des communiants spirituellement rassasiés ?... Mais nous « pleurons » (ô symbole sacré de notre tristesse !) sur nos frères qu’aveugle le monde, et que la négligence en matière de foi laisse végéter et fait périr. « Tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! n’entreront pas tous dans le Royaume des Cieux », fut l’avertissement du Seigneur Jésus. Ce texte lui-même, que rapporte l’Evangile, peut produire l’erreur : faire la Volonté de Dieu, c’est faire les œuvres pies, il est vrai ! mais ne voyez-vous pas les « gens de mauvaise vie » aimer et pardonner, quand ils le trouvent facile ? L’œuvre n’est rien sans la foi ; or, la foi n’est pas une pratique, c’est un état d’âme. L’Eglise, en voulant faire l’œuvre de Dieu, est dans la vérité mais elle a perdu la tradition, seule féconde, quand elle néglige ou plutôt quand elle n’exige pas – la vie mystique et profonde des serviteurs de Dieu sur la terre. Une prière hâtive au réveil, une prière satisfaite quand vient le soir… voire même une décision de consécration, ne suffisent pas pour affronter le monde et ses convoitises. Il y a, je le sais, « des âmes expiatoires », qui se consacrent à la pénitence pour leurs frères. Dieu les aime. Toutefois, ceux qui se confient en leur secours au point de laisser faiblir en eux-mêmes le lien qui doit les attacher avec Dieu, entendront le jugement tragique : « Je ne vous connais pas ! » Ils diront : « N’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? », mais Jésus vous l’a dit : Ils seront repoussés.
Ainsi, l’Eglise est un corps qui n’obéit pas à son Chef ; l’Eglise endort les consciences par des pratiques qui n’ont de sens que si elles extériorisent des certitudes secrètes et vivantes.
Chère Maman, tu ne sais pas l’urgence de faire pénétrer ce message dans les âmes qui se croient fidèles. Du fait de cette langueur, de cet affaiblissement moral de la conception religieuse, l’Eglise a contracté une maladie mortelle. Son influence, sa force d’expansion s’affaiblit ; elle se laisse devancer dans les œuvres par les ennemis du Christ-Sauveur ? Voilà pourquoi nous vous sommes envoyés pour vous dire, comme Jésus au début de son ministère : « Repentez-vous ! ». Amen.
Pierre